L’histoire de la collaboration entre le CIPSH et l’UNESCO dans le domaine de la traduction littéraire est longue. Déjà au lendemain de sa création en 1949, le CIPSH avait été associé au programme de l’UNESCO « Œuvres représentatives de la littérature mondiale », une entreprise d’envergure qui s’était étalée sur plusieurs années et qui se proposait de mettre en valeur les différentes traditions littéraires dans le monde, dans l’optique de rapprochement et de meilleure connaissance réciproque entre les cultures qui inspire depuis sa fondation l’action de l’Organisation. Cette entreprise majeure était axée sur la traduction d’œuvres littéraires de qualité exceptionnelle, méritant d’être connues au-delà de toute frontière culturelle et linguistique. Le nombre de publications résultant de ce travail de reconnaissance dépasse aujourd’hui les 1300 titres, diffusées dans une centaine de pays et de langues.
Aujourd’hui, l’UNESCO a souhaité renouveler ce partenariat, faisant appel aux énergies du CIPSH, parmi d’autres partenaires, pour renouer avec ce programme. Dans ce nouveau départ, l’UNESCO a envisagé d’abandonner le terrain du soutien ponctuel aux propositions émanant des États, des maisons d’édition ou des traducteurs eux-mêmes, et d’orienter son action en fonction de la situation nouvelle existant aujourd’hui, qui se caractérise par une globalisation poussée des marchés éditoriaux et qui diffère sensiblement de celle qu’avait amené l’UNESCO à lancer ce programme il y a plus d’un demi-siècle, lorsque la littérature « étrangère » n’occupait qu’une place minoritaire dans les catalogues des grandes maisons d’édition occidentales. Ainsi, l’Organisation nous a fait part de son choix de se concentrer sur l’identification en amont du patrimoine littéraire contemporain et sur l’orientation des programmes de travail des professionnels de l’édition.
C’est un appel auquel le CIPSH a aussitôt souhaité répondre, car il répond à des préoccupations qui animent en profondeur l’action du Conseil. En fait, c’est d’une meilleure connaissance des ouvrages et des auteurs qui ont parfois marqué un tournant dans leur culture ou dans leur discipline, mais qui pour des raisons diverses n’ont pu franchir les barrières de la langue dans laquelle ils se sont exprimés, que peuvent venir des idées inédites et capables d’apporter de nouveaux regards sur la réalité changeante qui nous entoure. L’un des enjeux propres à cette initiative nous paraît ainsi être le suivant : comment interpréter la notion de « représentatif » pour l’élargir au-delà des œuvres, telles les grandes sagas ou les mythes fondateurs, dont le caractère universel est souvent déjà largement avéré et reconnu ?
Une réponse possible nous a paru être celle qui consiste à se concentrer sur l’aptitude de tel ou tel ouvrage à répondre de manière novatrice et parfois insoupçonnée aux inquiétudes intellectuelles, éthiques ou morales auxquelles se trouve exposée notre modernité « liquide », pour employer la célèbre expression de Zygmunt Bauman, car instable et changeante. C’est essentiellement un tel effort de repérage que nous avons demandé à nos Organisations Membres et au réseau savant qu’elles représentent. Il nous paraît essentiel que chacun puisse à la fois chercher de nouveaux repères théoriques dans des cultures éloignées de la sienne et remodeler celle-ci de manière à retrouver dans ses propres racines les clés pour comprendre et décrire un monde à la fois de plus en plus globalisé et de plus en plus fragmenté.
C’est pourquoi, en répondant à la sollicitation de l’UNESCO, le CIPSH a tenu à ne pas calibrer son apport sur une simple reconnaissance du patrimoine d’érudition dont nos Organisations Membres sont les dépositaires, mais a tenu également à également l’ancrer sur notre capacité à reconnaître ces œuvres méconnues, parfois oubliées, et pourtant susceptibles d’enrichir de manière substantielle la conscience théorique contemporaine. Nous avons insisté sur ce point qui se retrouve, nous semble-t-il, dans les indications et les résultats reçus.
L’apport du CIPSH à la constitution d’une Collection virtuelle d’œuvres représentatives de la littérature mondiale peut se résumer essentiellement à deux volets majeurs d’action.
D’une part, le caractère largement représentatif du réseau du Conseil nous a permis de nous appuyer sur les contributions de spécialistes, centres de recherches et instituts spécialisés de très haut niveau et d’écarter tout danger d’une représentation certes efficace mais partielle des tendances actuelles de la recherche.
D’autre part, le caractère typiquement pluridisciplinaire du Conseil, qui s’articule autour d’organisations professionnelles à vocation disciplinaire, a permis d’investir des domaines d’enquête aussi différents que les littératures contemporaines, la pensée philosophique et la réflexion sur les problèmes du contemporain, les préoccupations humaines universelles s’exprimant en formes toujours nouvelles et déterminées par l’évolution sociale et culturelle de nos sociétés.
Si la priorité semble encore être accordée, du moins en certaine mesure, aux œuvres littéraires, nous avons cependant voulu porter à l’attention de l’UNESCO ces œuvres que leur profondeur philosophique, leur inspiration religieuse, leur portée historique ou leur capacité à témoigner des caractères essentiels d’une culture donnée rendent représentatives d’un moment universel de l’esprit humain. En même temps, alors que le but fondamental de l’UNESCO est de mettre en valeur des ouvrages encore insuffisamment traduits, il ne pouvait pas s’agir de mettre à l’avant uniquement des travaux spécialisés ou destinés principalement à un public savant, mais de se tourner plutôt vers ces œuvres dont l’originalité théorique et culturelle permet de répondre à quelques-unes des questions majeures qui se posent aujourd’hui aux sciences humaines et sociales.
L’objectif de notre action a été en somme moins de signaler des œuvres illustres et mondialement reconnues que de promouvoir une meilleure connaissance et diffusion de travaux à découvrir, en particulier lorsque leurs formes d’expression s’avèrent culturellement nouvelles, artistiquement minoritaires ou linguistiquement mises en péril par la disparition progressive des langues qui les véhiculent. Il s’agit là d’ailleurs d’un volet essentiel dans l’action de valorisation de la diversité culturelle que mène le CIPSH aujourd’hui.
Pour cela, le CIPSH a sollicité et recueilli des propositions émanant de l’ensemble de ses Organisations Membres, de son Bureau ainsi que du Comité international d’experts créé lors de l’Assemblée générale de Buenos Aires, en 2000. Les organisations consultées n’ont pas seulement été sollicitées à contribuer directement au projet. Elles ont également été appelées à répercuter celui-ci à l’échelle des associations disciplinaires et régionales qu’elles regroupent, afin de pouvoir formuler le plus grand nombre de propositions et d’assurer une répartition géographique correspondant à l’échelle du projet. Une première série de réponses, accompagnées par un avis scientifique motivé et par l’indication de deux autres experts appartenant, lorsque possible, à des traditions culturelles et linguistiques différentes, se trouve synthétisée dans les annexes jointes à ce document.
Si ce mécanisme a permis de dégager quelques indications à la valeur sûre, nous devons cependant constater le retard considérable qu’a pris la consultation du réseau savant africain, avec lequel la communication s’est avérée parfois particulièrement difficile. Cependant, la récente Assemblée générale du CIPSH, qui s’est déroulée à Cotonou, Bénin, en septembre 2002, a permis de renforcer considérablement le réseau de chercheurs rattachés à des centres actifs sur le continent africain et avec lesquels le CIPSH a noué des rapports de partenariat. Il apparaît donc urgent de mettre ce réseau à contribution, afin que, au moment de dresser un premier bilan de la contribution du CIPSH au programme, les différentes manifestations de la culture africaine ne soient pas pénalisées. À cette fin, une consultation supplémentaire ciblée sur l’Afrique a été (re)lancée, à la suite de ce constat et en accord avec les responsables de l’UNESCO, dès le mois de février 2003.
Luca M. Scarantino
Secrétaire général adjoint |